Le goût du caviste (par Yves Legrand)

Chronique d’humeur par Yves Legrand, président d’honneur du Syndicat des Cavistes Professionnels

« Bise de mars et vent d’avril font la richesse du pays »Proverbe bourguignon

« Oh, miroir, mon beau miroir ». C’est la découverte de « l’apparence réelle avec celle de son imagination. Il en est de même de la dégustation, plus particulièrement du goût » (Axel Marchal). Et, entre la faute de goût et la fake news, il y a moins de distance que de la coupe aux lèvres. 

Nos ressentis organoleptiques sont personnels, donc différents selon nos connaissances, selon notre situation, selon notre histoire ou notre âge.  « In vino veritas » n’exprime pas une maxime figée mais plutôt l’expression d’une évolution culturelle sur le chemin de la dégustation heureuse appelé également « ivresse saine et joyeuse ».

Depuis plusieurs années, le métier de caviste se meut en profession de caviste. Son rôle devient primordial dans la transmission de la connaissance et le respect du vin ainsi que le combat contre l’ignorance crasse. Particulièrement depuis la création du Syndicat des Cavistes Professionnels en 2011. 

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Quand je lis dans la lettre Vitisphère datée du 12 mars 2021, la fierté exprimée par l’acheteur « du pôle liquide » de Lidl concernant la promotion d’un AOP Bordeaux 2019 à 1,69 € la bouteille avec en plus inscrit bien lisiblement sur l’étiquette « terres d’exception » !

Est-ce de l’humour ?

Mais non, c’est à la demande du marché comme le confirme le journaliste à l’origine de cet article. Le consommateur subit en permanence les agressions du marketing qui entretiennent savamment la confusion cognitive. « Terre d’exception » …  Et mon cul, c’est du poulet !?

Je m’interroge, et que ma naïveté me protège, mais je pensais qu’à Bordeaux, seule « une terre d’exception », par exemple le classement de 1855, résultats de tant d’effort âprement négociés, produisait des vins d’exception.

La course à l’échalotes vers le plus bas prix est aussi nuisible que l’excès des produits phytos-sanitaires. Pour info : dans cette expression, le mot échalote veut dire le mot oignon qui désigne les fesses. Il s’agit d’attraper quelqu’un par le pantalon pour le dépasser. A ne pas confondre avec la main au cul, sauf à faire le buzz sur les réseaux sociaux…

Culture du raisin au nord du kurdistan

Et il y a pire que l’excès de traitement phyto-sanitaire : la bêtise ! … « Il n’existe que deux choses infinies : l’univers et la bêtise humaine ….mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue. » A.Einstein

Nous toutes, tous, professionnels de la filière vins et spiritueux, ne pourrons progresser face à la violence du marché international qu’en tirant vers l’excellence. Et pour cela, cent fois sur le métier remettons notre ouvrage en respectant au plus près possible la seule, unique et fondamentale définition du vin : 

  • Selon la loi Griffe du 14 aout 1889 : « Produit exclusif de raisin frais ou de jus de raisin frais »
  • Selon les premières écritures sur le vin vers 3000 ans av Jch : « Fruit de la terre et du travail de la main de l’homme ». 

Bien sûr, gardons les pieds sur terre et un œil sur le compte d’exploitation. Pauvres humains que nous sommes, la réalité du terrain nous oblige à des pratiques évolutives dans le sens des deux définitions fondamentales précitées.

Les termes « culture raisonnée », « haute valeur environnementale » et autres combinaisons sémantiques sont des progressions lentes mais toujours plus efficaces que le vino-basching brandi par des gens qui n’ont surement que très peu mis les pieds et attrapés ampoules et courbatures dans les vignes sous la pluie, le froid ou la brûlure du soleil avec l’inquiétude au ventre tant que le raisin n’est pas rentré. 

Réjouissons-nous de l’évolution considérable de la connaissance du vin depuis la « révolution » œnologique commencée dans les années 1970 avec Emile Peynaud, Denis Dubourdieu à Bordeaux, Jacques Puisais à Chinon et que poursuivent actuellement les chercheurs œnologues des instituts de la vigne et du vin répartis dans toutes les régions viticoles. Jusque dans les années 1970, les deux qualités majoritaires qui déterminaient le prix du vin étaient sa couleur et son degré. Aujourd’hui, ces qualités s’appellent finesse, élégance, complexité et plaisir, particulièrement les vins issus de vignes cultivées en bio et convergeant vers la permaculture (plus 20% cette année soit 12 % de la surface viticole française actuelle dont 1,4 % en bio-dynamie ). Les mots ont un sens, un sol sans fongicide est un sol vivant et le vin devient alors une bibliothèque truffée d’histoires extraordinaires.

Le premier acte de Noé en descendant de son arche fut de planter une vigne qu’il considérait comme la plante de la connaissance et de la sagesse. Eh, oui, ne jamais oublier les fondamentaux, sinon le virus de la « cancel culture » nous détruira !

Le rôle du caviste, ce professeur du goût, doit rechercher en dégustant incessamment les vins qui tendent le plus vers la définition, donc être issus d’un terroir vivant. Je reste optimiste quand, au gré de mes tournées bachiques, je rends visite à des confrères cavistes et constate en une décennie, la fulgurante évolution dans l’exigence de leur sélection. Leur démarche élève la dégustation aux pratiques dans l’art de la cérémonie du vin. 

Philovino Loire Janvier 2021

Personnellement, j’ai toujours considéré la dégustation comme un art martial, sans doute à cause des sports de longue endurance que je pratique. C’est-à-dire apprendre sans cesse à respirer par le ventre, à écouter sa petite musique intérieure qui vous conseille la bonne résonnance à exprimer. 

Allez, une petite dernière pour la route …

Cela me rappelle cette histoire d’un jeune sommelier qui trouvait une odeur de « foutre de lièvre » en dégustant un vin blanc, ce à quoi, son voisin que j’ai bien connu, lui répondit : « Mais alors, tu dois vraiment courir très vite » ! 

Et le printemps arriva …

Yves Legrand

Dégustation de vins  à la propriété