Covid19, les métiers du vin confrontés à l’anosmie et l’agueusie (étude Union des œnologues de France)

Nous adressons nos meilleurs vœux de rétablissement à notre confrère Olivier Thibaut,  hospitalisé à cause de la covid19, ainsi qu’à tous ceux qui sont frappés par cette maladie étrange et qui se révèle en effet capable de terrasser des adultes dans la force de l’âge, sportifs et sans aucun facteur de comorbidité. Laissant parfois des séquelles gravement invalidantes.

O Tee Bow par stephane Profit decembre 2020

Il y a un an, la pandémie de covid19 s’installait comme premier sujet d’actualité, justifiant la mise à l’arrêt de la France et le début du premier confinement. Parmi les premiers symptômes décrit comme associés à la maladie figurait la perte du goût et de l’odorat.

L’Union des Œnologues de France (UOF) s’est immédiatement inquiétée de l’impact de la covid-19 sur les professionnels du goût. Tous ces métiers reposent en effet sur des compétences en matière de dégustation et d’analyse sensorielle qui s’exercent à l’aide de ces sens, mobilisés pour discriminer et apprécier la qualité et les défauts, les descripteurs et leurs intensités, des différents types de vins et boissons soumis à leur jugement.

Son Vice-Président, Pierre-Louis Teissedre, professeur d’oenologie et analyse sensorielle de l’institut de la vigne et du vin de Bordeaux, entouré d’un comité scientifique, associant œnologues et médecins, dont le Professeur Pierre Bonfils, chef de service ORL Hôpital Européen Georges Pompidou, présentait le 10 mars dernier la restitution de l’enquête exclusive réalisée entre mai et juillet 2020 auprès des différentes professions du vin, en France et à l’étranger.

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2625 professionnels de 37 pays y ont participé. Parmi eux, 176 cavistes soit 7% de l’échantillon, grâce au relais fait par le SCP.

Des nuances à bien garder à l’esprit

Les pathologies de la perte du goût et de l’odorat sont de plusieurs ordres selon la complétude ou pas du symptôme :

Concernant le champ du goût :

  • Agueusie : perte du goût
  • Dysgueusie : trouble de la perception du goût
  • Hypogueusie : diminution du goût
  • Hétérogueusie : le goût perçu n’est pas celui attendu

Concernant le champ de l’odorat :

  • Anosmie : perte de l’odorat, souvent associée à la perte du goût
  • Hyposmie : baisse de la qualité de l’odorat
  • Parosmie : perception olfactive faussée

Des symptômes existant également hors covid

Le premier élément qui se dégage de cette étude, c’est que 13,4% des professionnels, et10% des cavistes de l’échantillon, avaient déjà connu avant le déclenchement du covid des périodes pendant lesquelles ils avaient perdu l’odorat et 10,5% avaient déjà souffert de perte de goût, dont 68% plusieurs fois (90% des cavistes concernés). 

La plupart de ces agueusies étaient accompagnées d’hyposmie (68%) voire d’anosmie (28%). Les cas sont rares, 4%, qui n’avaient pas perdu aussi l’odorat.

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11% des professionnels ayant soufferts de ces troubles avouaient ne pas avoir récupéré la totalité de leurs capacités. 14% des cavistes de l’échantillon. Et ce avant même que le coronavirus ne mette ces sujets au premier plan.

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Ces troubles peuvent avoir plusieurs origines : l’âge, le plus souvent même si ce n’est pas le critère à retenir pour les professionnels, la conséquence de traumatismes crâniens ayant détruit les cellules nerveuses agissant sur ces sens, ou des maladies chroniques, les principales étant des rhinites chroniques (qui concernent 10 à 20% de la population) ou des polypose naso-sinusiennes qui affecteraient 6% de la population française.

Rappelons que selon les médecins, la plupart des rhumes sont à imputer à des coronavirus.

Des conséquences pour le moment encore limitées

« Seuls » 2,7% des participants à l’étude, toutes professions confondues, avaient en juillet 2020 contracté la maladie. L’étude est donc évidemment très partielle et méritera d’être reconduite à la lecture de ce que l’expérience a révélé depuis. 30% de ces personnes ont effectivement témoigné de troubles de l’odorat et/ou du goût à cette occasion, soit 2% de l’ensemble des professionnels participants à l’étude.

31% de ces personnes ayant été malades disaient avoir souffert de distorsions olfactives. Ces troubles avaient disparu dans 61% des cas au moment de l’enquête, au bout de 18 jours en moyenne.

79% de ces personnes ayant été malades disaient avoir souffert de distorsions gustatives, disparaissant là encore environ 19 jours après. 

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En tout, 68% de ces professionnels malades avaient souffert de troubles du goût et de l’odorat contre 50% de l’ensemble de la population. Ce décalage interroge : les professionnels seraient plus sensibles ? Ou plus sensibilisés ? La raison penche pour le second tant il est vrai que, dans des sociétés urbaines, polluées, soumises aux allergies, nombre de nos concitoyens peuvent ne pas s’apercevoir qu’ils ont perdu ces sens … Et ne s’en rendre compte que lorsque surviennent des symptômes : moral en berne, déprime voire début de dépression. Bref, perte de goût à la vie …

Les femmes plus affectées ?

Au sein de cet échantillon de professionnels touchés par la maladie, les femmes (plus jeunes en moyenne que leur collègues masculins) semblent avoir été davantage touchées que les hommes puisque 4% d’entre elles ont signalé avoir été malades contre 2% des hommes.

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Elles auraient aussi été nettement plus affectées puisque 64% d’entre elle ont souffert de distorsions olfactives contre seulement 36% de leurs collègues masculins, entrainant pour elles des vrais désagréments dans la pratique professionnelle dans les mêmes proportions.

La période à laquelle a été réalisée cette enquête invite cependant à la plus grande prudence quant à des analyses trop rapides de ces chiffres, nous étions alors au tout début de cette pandémie qui depuis nous a tous pris de court par sa durée et ses développements récents sous forme de variants.

Compter trois semaines avant retour à la normale … et ne pas hésiter à en parler

En juillet, 39% des personnes malades et qui avaient développé des problèmes de perte de goût et/ou d’odorat avaient du mal à récupérer leurs sens, et même 7% ne les avaient toujours pas récupérés. 

Si parmi ces professionnels, 4 personnes sur 5 disaient en juillet 2020 avoir perdu soit le goût soit l’odorat depuis le début de l’épidémie, le taux n’était que de 50% chez les cavistes répondants.

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C’est la hantise des cavistes qui s’expriment sur les réseaux sociaux. Et qui doit en effet être bien entendue. C’est l’un des précieux conseils relayés par les médecins qui ont piloté cette étude et qui avaient reçu déjà de tels cas en consultation : si un professionnel souffre de ce type de symptômes, il faut qu’il en parle et surtout pas qu’il s’enferme dans une sensation de honte vis-à-vis de ses clients ou de ses fournisseurs.

Marina Giuberti Influenceure du vin

Les cavistes concernés disaient cependant ne pas avoir été entravé dans la pratique de leur métier pendant ces épisodes (0% de gène), contrairement à d’autres professions plus confrontées à la nécessité quotidienne d’exercer leurs sens (gène évaluée à 57% par les sommeliers concernés contre 31% des œnologues). 

Il faut là encore rappeler la période à laquelle a été réalisée l’enquête, moins intense pour certaines catégories de professionnels, soit qu’ils aient été fermés (fermeture administrative) soit que ce soit une période plus creuse par rapport à l’activité par exemple des vendanges, négociations commerciales ou autres rendez-vous annuels particuliers.

Des sens qui se musclent et se rééduquent

En plus des femmes qui sembleraient avoir été suraffectées par la covid (en tous cas à la date de l’étude), les professionnels les plus jeunes (20 à 29 ans) atteints ont été davantage touchés par des symptômes d’agueusie/d’anosmie.

La faiblesse de l’échantillon rend l’interprétation de ces résultats difficile si ce n’est d’imaginer que les professionnels en début de carrière ont peut-être moins d’entrainement que leurs ainés, alors que la pratique régulière par des exercices de dégustation sensorielle poussés aiderait à maintenir ou retrouver plus vite ses sens.

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Les protocoles de rééducations des sens conseillés par les Médecins pour réexercer les cellules et systèmes nerveux affectés par la maladie recommandent en effet de stimuler la mémoire olfactive à partir d’images mentales. Et de pratiquer des exercices de dégustation intenses et quotidiens.

Et surtout de ne pas s’isoler. 

Des prises en charge existent et comme toutes les personnes souffrant de handicaps, il faut rester en prise avec la société et son environnement humain. 

Et consulter un ORL pour prévenir, diagnostiquer et traiter ces symptômes.

Vers un accompagnement adapté aux professionnels du goût

Comme dans beaucoup de champ, la covid19 a là encore mis en lumière une problématique ancienne mais qui devra désormais être posée.

Les troubles causés par la COVID-19 peuvent en effet induire un vrai handicap professionnel pour les professionnels du vin. Et même devenir une véritable maladie invalidante dans le cas des « COVID longs ». Car pour tous ces professionnels, les sens, la bouche et le nez sont de vrais outils de travail. C’est pourquoi l’Union des œnologues de France demande de figurer dans les professions prioritaires pour se faire vacciner et faire reconnaître ces troubles comme maladie invalidante, ce qui permettra de négocier des couvertures de santé et prévoyance renforcées pour les professionnels des secteurs concernés. 

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Pourquoi pas un contrôle annuel de l’odorat par un spécialiste ORL pour les professions concernées ? Des sujets à travailler à l’échelon de chaque branche professionnelle et qui ne manqueront pas de mobiliser les représentants du SCP lorsqu’ils siègeront dans ces instances.

L’époque est à positiver. Ce que peut aussi permettre cette introspection que le covid nous contraint à faire à tous les niveaux car, comme le rapportait Thierry GASCO : « Une personne ayant perdu l’usage de ses sens me disait que depuis qu’elle avait retrouvé ses sens, elle est agréablement surprise de constater qu’elle découvre de bien meilleures sensations aujourd’hui. »

L’absence révèle le manque. Et rappelle toute la saveur de la Vie.

Champagne Lever de soleil Fevrier 2021 G Ragot