Contre la multiplication des arrêtés préfectoraux qui diabolisent toute consommation d’alcool en France – L’Intervention du Président du Syndicat des cavistes professionnels Patrick Jourdain au Conseil Spécialisé de France Agrimer le 20 janvier 2021

Le Conseil spécialisé est l’instance qui organise les relations entre les services du Ministère de l’Agriculture et met en œuvre la politique agricole en concertation avec les représentants des filières agricoles. La filière viticole est représentée par ses responsables des bassins de productions et de toutes les institutions de producteurs et négociants de vins et cidres de l’hexagone. Le Syndicat des Cavistes Professionnels (SCP) est l’organisation professionnelle représentative des cavistes et membre du CS depuis 2019 . Le CS est présidé par Jérôme Despey.

maaffam

Séance du 21/01/2021, Questions diverses, intervention de P Jourdain :

« Cher Jérôme,

je te remercie de me permettre cette intervention et je vais essayer d’ être bref.

 Mes chers collègues, 

Il est encore temps pour les vœux donc je profite de cette intervention pour souhaiter  à tous une année 2021 plus constructive et sereine que l’an passé, avec des conditions climatiques qui vous permettent de produire des produits d’exception qui réjouiront les papilles et neurones de nos clients et surtout, une bonne santé ainsi qu’à vos proches. 

Je voudrais dans cette intervention vous faire part de la situation d’un marché dont j’entends finalement assez peu parlé depuis que j’assiste à ce Conseil spécialisé France Agrimer en tant que président d’une profession que vous savez tous profondément attachée à vos vignobles et soucieuses de ce qui vous préoccupe, celle des cavistes de France. C’est donc la problématique du marché français que je voudrais porter à votre attention aujourd’hui car il nous semble qu’il s’y passe des choses préoccupantes dont il vous faut que vous soyez bien conscients ;

Je vous entends et vous comprends bien, vous battre contre l’injustice des taxations ou autres barrières douanières qui vous pénalisent sur les marchés Export. Mais attention à ne pas laisser s’installer sur le marché domestique, celui qui, mine de rien, créé l’image des produits français à l’étranger car ce sont les consommateurs, l’image d’un certain art de vivre « à la française » et sa gastronomie qui font rayonner l’image de vos vins, cidres et autres alcools

Nous les cavistes sommes, avec 5800 magasins spécialisés, le « dernier maillon de la chaine » et le fait même que nous soyons des spécialistes nous incite à présenter le meilleur de vos productions, ce que nous avons sélectionné et que du coup nous avons à cœur de défendre et proposer à nos clients, le plus souvent des fidèles aussi puisque chez nous la qualité, la fidélité, les notions de partenariat, c’est notre cœur de métier, notre ADN…

Mais nous cavistes sommes de plus en plus régulièrement confrontés à des attitudes de plus en plus hostiles à la consommation de boissons alcooliques de la part des pouvoirs publics de notre pays, que ce soit au niveau national ou maintenant de plus en plus régulièrement au niveau local. 

Ces dernières années, nous, cavistes représentés au sein du SCP (indépendants ET chaines, pour rappel) nous opposions parfois, rarement, à quelques arrêtés préfectoraux qui, sous prétexte (et le terme prétexte est important) d’éviter d’éventuels débordement ou troubles à l’ordre public à l’occasion de compétition sportives internationales, coupe d’Europe, etc. (ce fut le cas à Marseille ou Lille dont les préfets prirent des mesures d’interdiction de vente d’alcool à emporter. Donc pour des cavistes dont c’est le cœur de métier, c’est juste … fermeture, pertes sèches, et désignation comme les grands méchants, avec une forme de dénonciation morale de notre activité jugée dangereuse.

Mais ça c’était avant. Depuis le début de la covid, les arrêtés préfectoraux se multiplient nous interdisant de travailler, pour, là encore, éviter le risque accru par le confinement de violences intrafamiliales (tentatives dans l’Aisne lors du 1er confinement que les interventions nationales ont permis de lever en 24h) ou d’éventuels troubles à l’ordre public. Pour la St Sylvestre, ce sont 6 préfets qui ont pondu ainsi un texte limitant voire interdisant la vente d’alcools le jour du 31 décembre (Côte du Nord, Pyrénées orientales, Ille et Vilaine, Rhône, Puy de Dôme …), parfois jusqu’au dimanche 4 janvier, certains en décidant la veille au soir en nous prévenant le matin même que depuis 6h la vente de tout alcool était interdite (ça a été mon cas dans le Puy de Dôme où ce sont 6 gendarmes qui sont venus me faire fermer) alors que le 31 décembre est l’une des 5 plus grosses journées de l’année pour les cavistes.

Ces multiplications nous inquiètent car on sent que pour les préfets (qui font le tour de France des préfectures, on retrouve ainsi des« spécialistes » de ce type de dispositif qu’ils renouvellent dans leurs nouveaux départements de nomination) et plus largement le personnel des préfectures s’habituent à prendre ce type d’arrêtés : oh, c’est bien pratique, pour se couvrir, en diabolisant ainsi l’alcool dans son ensemble au lieu de solutionner les raisons du mal être social qui justifierait plutôt les débordements qu’ils craignent mais ça c’est un autre sujet…

Et ce qui nous inquiète aussi c’est que pour la St Sylvestre c’est apparemment le Ministre de l’Intérieur lui-même qui aurait donné la consigne générale et désigné l’alcool comme fauteur de troubles potentiels…

Donc chers partenaires producteurs, nous vous demandons de considérer à sa juste valeur cette déviance institutionnelle qui contamine progressivement les différents ministères : on se savait diabolisé par le Ministère de la Santé, mais maintenant c’est aussi à l’Intérieur. C’est tout le rapport entre notre métier et nos produits et les français qui se joue,

Une dernière anecdote : le couvre feu contraint nos boutiques à fermer, mais les livraisons restent autorisées …. sauf en matière d’alcool, déjà, en Seine St Denis, et on s’attend à ce que nous soyons encore contraints de nous défendre dans d’autres départements ; chaque jour nous sommes contactés par nos adhérents et sommes contraints de nous placer en situation de défensive… 

Il y a un autre sujet sur lequel je voudrais aussi intervenir en tant que caviste et qui concerne les spécificités de notre métier en tant là encore que « dernier maillon de la chaine de valeur ». C’est celui du raccourcissement général des délais de paiement, une tendance imposée par l’Europe et qui souhaite soumettre tout le monde et toutes les entreprises aux mêmes règles. Sauf que chez les cavistes, si on veut réserver les vins en février pour les faire vieillir en considérant que 30% de nos ventes ont lieu sur les dernières semaines de l’année, ça implique des stockages et délais de paiement qu’historiquement le métier n’a pas organisé via des financements de stocks immobilisés mais qui structurellement et culturellement reposait sur des accords bilatéraux avec nos partenaires … et l’obligation de devoir régler à 30 jours c’est juste pour nous un étranglement grave de nos moyens de financement.

Donc j’aimerai, cher Jérôme, que nous puissions aussi aborder ces sujets sous une forme ou une autre mais c’est important là encore si on veut maintenir la diversité cavistes donc vigneronne.

 Je vous remercie de m’avoir écouté et je vous remercie de comprendre que si les cavistes ne peuvent plus exercer leur activité sereinement, les conséquences seront systémiques : ce sont nos producteurs, qui ne seront plus en capacité d’aller à la rencontre des consommateurs car c’est bien ce travail de formation, rencontres, apprentissage à la dégustation et conseils fait par les cavistes qui ne sera plus fait.

Sans les cavistes, la diversité vigneronne s’appauvrira très vite .

Je vous remercie de votre attention. »

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