Japanomania

Affiche de la Japan Expo 2022 qui remplace les éditions 2020 et 2021 annulées pour cause de Covid

Ce phénomène – que certains croient récent – n’a sans doute pas échappé à la plupart d’entre vous mais en réalité cela fait plus de 40 ans que le Japon exerce, lentement mais sûrement, son influence sur toute la planète, fruit d’une campagne de marketing que l’on peut qualifier de soft-power.

La France, dont les liens avec le pays du Soleil Levant sont particulièrement étroits depuis un siècle et demi, ne fait pas exception !

S’il fallait pointer du doigt une date précise à l’origine de ce mouvement, ce serait sans aucun doute… le lundi 3 juillet 1978, jour où un dessin animé japonais, apparemment anodin et mettant en scène un robot, surgit à la télévision française sur Récré A2, pour le plus grand plaisir des tous petits. Son nom : Goldorak !

Le succès est tel que Paris Match en fera même une de ses couvertures mais peu sont ceux parmi les observateurs de l’époque qui comprennent que cet engouement pour la chose nippone deviendra une véritable tendance mondiale et non pas un banal phénomène de mode voué à disparaître quelques saisons plus tard.

En 1987 c’est alors à TF1 de prendre le relais avec le fameux Club Dorothée. On y découvre d’autres dessins animés japonais dont les plus cités – encore aujourd’hui – sont Les Chevaliers du Zodiaque et Dragon Ball. Les tonnes de lettres de fans reçues par la chaîne encouragent TF1 à poursuivre sur sa lancée d’autant plus que les épisodes nippons coûtent beaucoup moins cher que leurs équivalents européens ou américains. On joint donc l’utile à l’agréable !

La génération Y (née entre 1980 et 2000) va donc subir le plein impact de cette offensive massive de la part du Japon qui inonde le paysage franchouillard de mangas et animés, sans compter les jeux vidéo et autres produits franchisés qui alourdissent chaque année un peu plus le cabas du Père Noël.

Car la stratégie nippone est d’une intelligence remarquable avec un marketing impressionnant doublé d’une cadence soutenue de production de contenus culturels. Tel un jeu de dominos qui tombent en cascade, un manga à succès devient vite un animé, puis sort sur le grand écran, enfin se transforme en jeu vidéo et parfois même en parc à thème. De même que les citoyens de ce petit archipel battent des records de vieillesse, la longévité de leurs franchises est donc sans commune mesure. Adeptes du concept « che va piano va sano », les Japonais avancent lentement mais sûrement à l’image de la tortue dans la fable de La Fontaine. Cet animal étant particulièrement vénéré parmi les Asiatiques car il est symbole de pérennité.

Une autre caractéristique du pays au drapeau rouge et blanc consiste en une grande perméabilité entre les genres et les arts, ce qui est encore une nouveauté dans les pays occidentaux, à l’époque.

Participants de Cosplay à la Japan Expo de 2019

Mais la donne change en 1999, quand voit le jour la première Japan Expo à Paris. Des débuts timides, certes, mais sachez que vingt ans plus tard, en 2019 (dernière édition puisque celles de 2020 et 2021 ont été annulées en raison de la crise sanitaire) le congrès rassemble à Villepinte quelques 250 000 visiteurs. C’est le 3ème salon en France en termes de fréquentation !

Etonnamment, le public possède une moyenne d’âge de 23 ans, ce qui signifie donc qu’il n’y a pas que des nostalgiques du Club Dorothée qui répondent présents. En effet, on y trouve de tout en matière de culture japonaise, de la pop culture aux techniques traditionnelles telles que la calligraphie, les arts martiaux, la coutellerie ou encore la peinture sur kimonos. Les concerts de J-pop et J-rock se multiplient également sur les podiums. Beaucoup ignorent que le Japon est le second producteur de musique au monde, après les USA.

Enfin la gastronomie japonaise et son raffinement sans oublier les spiritueux – le saké, bien évidemment mais aussi le gin, rhum et whisky nippon – sont maintenant aussi à l’honneur et nous aurons l’occasion d’y revenir puisque c’est le sujet principal de cette Newsletter.

Mais pourquoi cet enthousiasme ne perd-il pas de son haleine, me direz-vous ?

Tout simplement parce que la culture japonaise avec son mix de valeurs anciennes et d’avancées technologiques de pointe, a le don d’attirer nos jeunes générations souffrant de déracinement hexagonal en apportant un nouveau sens à leur vie, grâce à univers magique où tout est possible, et où de surcroît, les auteurs font la part belle à la gent féminine. C’est en tout cas le constat fait par de nombreux psychologues et analystes de ce mouvement qui rassemble enfants et adolescents mais aussi jeunes cadres branchés et femmes d’affaires stylées.

Conséquence directe, l’étude de la langue japonaise augmente de façon spectaculaire sur le territoire avec, de nos jours, plus de 60 établissements en France où elle figure en bonne place sur la grille des disciplines enseignées. Des termes spécifiques à l’univers des mangas font leur apparition dans le vocabulaire de tous les jours (kawaii, bentô, otaku, origami, haiku, sakura) et cette année les mots mochi, mangaka et animé pointent leur nez dans le Petit Robert 2021.

 

Kosuke Koji, Président de la marque Nanbu Bijin

En parallèle, le nombre de touristes français au Japon a quadruplé depuis 2000 (avec pour exception l’année 2011 du tsunami de Fukushima). En 2019, le Musée des Arts Décoratifs à Paris présente sa plus grande exposition « Japon-Japonismes » en l’honneur du pays du Soleil Levant, qui devait recevoir les Jeux Olympiques l’année suivante.

La boucle est bouclée ! Bref, vous l’aurez compris, c’est la Japanomania

En ce qui concerne les échanges entre nos deux pays, selon le Président de Business France à Tokyo, M. Pascal GONDRAN, actuellement 11 000 PME françaises exportent vers le Japon, dont 3500 TPE. Dans le secteur des boissons alcoolisées, il faut savoir que l’Hexagone est le 1er fournisseur en vins de l’archipel nippon, représentant 55 % des parts de marché avec, toutefois, une série d’exigences bien connues de la part des clients japonais : design de qualité, packaging extrêmement soigné, produits à ouverture facile (capsules, vins en cannettes) et aussi la nécessité du storytelling (importance de l’histoire et du terroir). Depuis peu, on remarque une forte demande en produits « entrée de gamme ».

 Mais en quoi tout ceci vous regarde, cavistes ?

Eh bien, on constate depuis cinq ans environ, que dans les Relais & Châteaux et autres palaces de la Riviera, les sakés côtoient maintenant les grands crus de Bordeaux ou de Bourgogne. Les sommeliers du Ritz, Crillon ou Athénée Plaza, par exemple, en proposent de plus en plus aux clients à la recherche de mélanges mets-vins inusités.

Le fait que la gastronomie japonaise ait enfin été reconnue comme patrimoine immatériel de l’Humanité par l’Unesco en 2013 y est sans doute aussi pour quelque chose !

En outre, selon Sylvain Huet, spécialiste tricolore du saké, cet alcool de riz se marie très bien avec la cuisine française, et notamment facilite la vie des œnologues en ce qui concerne les recettes dites problématiques, telles que les plats iodés, vinaigrés, fermentés et très végétaux ou encore… l’œuf !

Les arômes délicats et la faible teneur alcoolique (de 14 à 17 degrés seulement) en font la boisson idéale pour ceux et celles qui souhaitent

Recette du restaurant Au Clair de la Plume à Grignan

boire sans culpabiliser. Au pire, vous serez euphoriques puis vous assoupirez, car le saké a l’incroyable propriété de ne rendre ni agressif ni violent.

On peut aussi comparer le saké au champagne, dans la mesure où il peut parfaitement accompagner tout un repas, de l’entrée au dessert – y compris l’apéritif, dans sa version pétillante. Selon la Chambre de Commerce France-Japon, les importations de saké ont augmenté de 8 % en 2019. Un saut de fourmi, peut-être, mais qui laisse entrevoir un potentiel de croissance à ne pas négliger, dès que la crise Covid sera derrière nous.

Là aussi, une nouvelle tendance se dessine à l’horizon et devrait, à l’instar de tout ce qui nous vient de l’Asie en général (que ce soit positif ou non), se perpétuer. C’est déjà un cas confirmé dans de grandes métropoles comme New York, Dubaï ou encore Sao Paulo, au Brésil, où la population de descendants japonais atteint le million et demi et où les bars à saké (izakayas) pullulent accompagnant les restaurants de nouilles japonaises (ramen) ou sukiyaki (sorte de pot-au-feu servi bouillant) ou encore de yakitori (mini brochettes).

Le saké possède également un autre avantage, celui de rehausser la sensation de umami quand on déguste un plat car la finesse de cet or liquide ne tue pas le goût des divers ingrédients. Une petite explication s’avère sans doute nécessaire !

L’umami est le cinquième goût découvert par un scientifique japonais en 1908. Pour les néophytes, c’est celui qui fait saliver dans la bouche ! Il regroupe les quatre autres saveurs connues des Occidentaux : le sucré (lié à la petite enfance), le salé (acquis à l’adolescence), l’acide (développé à l’âge adulte) et enfin l’amer (apprécié à la vieillesse).

L’umami est présent notamment dans le poisson, les champignons (morilles, cèpes et shiitake), les brocolis et les asperges, les algues marines mais aussi le fromage (particulièrement le parmesan) et surtout la tomate, quand elle est bien mûre. D’où le succès universel de la pizza…exemple parfait de umami!

Enfin, plus particulièrement en ce qui concerne le whisky japonais, le pays n’était pas doté jusqu’ici de règles de production strictes ce qui provoquait un tollé de détracteurs en Europe. En effet, les techniques n’y ont pas été inventées, les céréales utilisées sont très rarement cultivées sur l’archipel et le bois des tonneaux ne pousse pas dans le pays. Mis à part le mizunara qui est une essence rare, le chêne de Mongolie.

Pour remédier à cela, l’Association des producteurs de liqueurs et spiritueux, composée des entreprises du secteur, a enfin déterminé quelques critères pour qu’un whisky puisse être considéré comme japonais. L‘eau utilisée doit être extraite au Japon, la saccharification, la fermentation et la distillation doivent se dérouler dans une distillerie japonaise, et le liquide doit être vieilli pendant au moins trois ans dans le pays.

En conséquence, le Whisky Exchange, le plus grand vendeur de whisky au monde, a annoncé qu’il reclassifierait les whiskys qu’il considère comme japonais selon ces nouveaux  critères. L’article sur Forbes date de février 2021 mais nombreux sont encore les  cavistes qui doutent encore de cette nouvelle réglementation.

Le futur nous le dira !