Mots croisés entre cavistes français et italiens

La distribution spécialisée de vins en Europe : mots croisés entre cavistes français et italiens

Avec l’avènement de l’ère numérique, les commerçants du monde entier sont confrontés à des enjeux de concurrence internationale qui jusqu’ici leur échappaient. C’est notamment le cas des cavistes, contraints de repenser en profondeur leur modèle économique.

Non pas que les cavistes étaient jusqu’ici déconnectés du village mondial. Mais tant qu’ils n’étaient « que » des victimes collatérales des guerres commerciales menées par les producteurs en (con)quête de nouveaux débouchés à l’export (ou à l’inverse, en perte de vitesse et contraints de rapatrier sur le marché local des volumes qu’ils valorisaient jusqu’ici ailleurs), les commerces spécialisés traditionnels, donc physiques, ne subissaient finalement « que » les contrecoups en termes de volatilité des cours. Et ils s’y adaptaient vaille que vaille.

Des marchés historiques adaptés aux relations amont-aval

Pour faire face à ces fluctuations, accentuées par les conditions climatiques des millésimes, les cavistes de France ont construit la plupart du temps des stratégies d’approvisionnement et un positionnement qualitatif qui leur permettent d’éviter de se retrouver victimes de ces flux et reflux et de leurs éventuelles réponses spéculatives.

Le fait est que, du coup, si la plupart des cavistes français sont de grands spécialistes de l’ensemble de la filière viticole, ils sont moins investis dans certaines appellations justement peu à l’écoute de leurs particularités. Comme celles très sensibles aux retournements de marchés de masse, type Muscadet, Beaujolais, etc.. Les cavistes français expriment également parfois de vraies hostilités conjoncturelles vis-à-vis des régions viticoles qui ont tellement privilégié les marchés export qu’ils en ont délaissé leurs relais commerciaux (et prescripteurs) locaux, pour les redécouvrir un peu tard, « lorsque la bise fut venue ».

Le Bordeaux bashing des dernières années atteste de la rancune tenace, et parfois exagérée, de nos cavistes hexagonaux qui ont dû investir dans d’autres univers commerciaux, et soutiennent plus volontiers ces vignobles apparus comme alternatives efficaces et bienvenues, en plus d’être respectueux du marché intérieur. Les vins du Languedoc, les nouveaux vignobles, les vins paysans, bios ou nature originels, à ambition locale ou les bulles italiennes ont plutôt bien profité de ces recherches d’alternatives… Le pied dans la porte mis par les bulles italiennes dans l’univers jusqu’ici très champenois des vins effervescents est également une conséquence du désamour ressenti par les cavistes de la part des producteurs du roi des vins.

Etagère éclairée avec de nombreuses cases aux formes irrégulières pour présenter des bouteilles de vins

Leur quête permanente d’alternatives a également facilité le boom des spiritueux, qui ont permis aux cavistes de maintenir leur rentabilité grâce à des cuvées exclusives ou majoritairement réservées au circuit prescripteur.

Et le succès fulgurant des bières artisanales chez les cavistes leur permet de réaffirmer l’importance du circuit court et de la carte locale qui est bien souvent à l’origine même de leur métier.

Quand la cordée perd un nouvel appui

Mais les réactions collectives qui naissent de ces relations de concurrences internes aux filières sont mises à mal par la révolution technologique en cours.

Le commerce en ligne menace en effet de faire exploser ces frontières intérieures. Car la liberté donnée aux consommateurs, déjà habitués au principe du cross canal, contraint de repenser le modèle.

Il faut dire que depuis quarante ans, la grande distribution, qui reste de loin la première concurrente des cavistes, les avait déjà contraint à revoir leur modèle.

Phrase de Jean Carmet La seule arme que je tolère c'est le tire bouchon

Pour résister à la puissance des économies d’échelle au cœur de ses modèles de distribution reposant sur la massification, les cavistes luttent pour ériger et défendre des barricades virtuelles et isoler la pandémie consumériste. C’est en effet leur meilleure réponse pour s’assurer de conserver une identité distincte et cultiver la différence : ils ne référencent pas les produits susceptibles de se retrouver dans les rayons de la concurrence industrielle et tachent de faire valoir leur différence.

Mais comment résister lorsque les places de marché et les E-retailers facilitent le court circuitage des approvisionnements et incitent à faire l’économie de l’étape, pourtant essentielle pour les cavistes, du conseil en magasin ?

Quel avenir pour les commerces spécialisés face à ces enjeux ?

Alors que les sites de ventes en ligne s’internationalisent et se concentrent, les cavistes sont-ils confrontés aux mêmes problématiques selon les pays ? Et quelles réponses y apporter ? Alors que le sujet de la régulation des règles de concurrence entre entreprises nationales et pure player est renvoyé  l’échelon européen, y a-t-il des convergences  entre commerçants physiques traditionnels européens pour lutter contre les concurrences « hors sol »  ?

Et quid du contexte particulier de la commercialisation des vins et boissons alcoolisées ?

Des questions en cascade auxquelles le rapprochement entre cavistes de pays différents, en l’occurrence français et italiens, peut permettre d’apporter des pistes pour l’action.

Qu’est-ce qu’un Caviste de part et d’autres des Alpes ?

En France, nous avons réunis sous la définition du caviste tous les points de vente physiques spécialisés dans la vente à emporter aux particuliers de vins et boissons alcoolisées, sous réserve qu’ils ne commercialisent pas uniquement les productions du gérant ou propriétaire.

Patrick Jourdain en dégustation

« Cette définition permet de suivre depuis près de dix ans l’évolution de ce parc de magasins, en constante progression. Selon les derniers chiffres établis par la société Equonoxe, nous comptions environ 5700 cavistes en 2018 » rappelle Patrick Jourdain, président du Syndicat des Cavistes Professionnels et caviste à Cusset (03) et à Thiers (63). « Mais cette définition masque de nombreux modèles d’entreprises différentes. En effet, la relation au vin, et à l’alcool en général en France, reste très marquée par la culture et entre des cavistes du Sud-Ouest et des cavistes du Nord, de Paris ou de campagne, les gammes et fréquentations sont très différentes. »

« Les cavistes italiens sont les Enotecari, c’est-à-dire des détaillants spécialisés en vins et autres produits alcoolisés, qui exercent dans un lieu appelé Enoteca. » explique Andrea Terranea, enotecario professionista A.E.P.I.  lui-même à Cantu, au Nord de Milan et président de l’association Vinarius, qui rassemble les commerçants spécialisés de la péninsule.

Et ce qui caractérise nos confrères italiens c’est la distinction qu’ils marquent bien entre le lieu de vente et le professionnalisme de celui qui exerce le métier de caviste.

Et cela s’explique par un contexte qui, par certains égards, se rapproche du nôtre.

Andrea Terrnaeo déguste unvin banc dans sonmagasin enoteca La Barrique

« En France, le mot caviste est reconnu par la population comme un professionnel de la vente de vin. C’est-à-dire que l’on soit caviste ou non. En Italie, un enotecario travaille dans un magasin de vin mais le mot enoteca est utilisé aussi par d’autres établissements non spécialistes du domaine, comme des épiceries, des magasins de fruits et légumes, des pâtisseries, des épiceries, des boulangeries qui proposent seize bouteilles de trois vins différents. Cela diminue la valeur du mot enoteca et nous devons dire Enotecario Professionista, sinon enotecario est trop banal. Le caviste français a donc un réel avantage par rapport à son collègue italien car le terme est bien compris par le « Français moyen », qui est le consommateur le plus instruit sur le plan culturel en matière de vin par rapport aux autres peuples.

La Barrique enoteca à Cantu

Du coup, en Italie, le Caviste (enotecario) occupe une position moins importante que celle occupée par les cavistes de France. Faute de statistiques officielles, nous ne savons pas exactement combien nous sommes. Des estimations plutôt fiables évaluent les points de vente qui vendent du vin à environ 7 500. Les établissements qui affichent certaines exigences de qualité, d’assortiment, d’assistance à la clientèle et, disons-le, de passion pour ce travail, pourraient être 800. Et il y aurait trois fois plus d’enoiteche, concept proche du bar à vin français, avec les mêmes exigences de qualité. »

Boire et déguster du vin, c’est aussi l’héritage de l’Histoire

« En France, le circuit des cavistes est fortement imprégné de l’histoire du XXième siècle, ajoute Patrick Jourdain. Rappelons que c’est avec la guerre de 14 que l’habitude a été prise de consommer du vin quotidiennement et ce sur tout le territoire. Ce qui n’était pas le cas dans les régions éloignées des zones de vignoble. Ceux qui sont rentrés ont conservé des habitudes de ravitaillement prises sur le front et ont diffusé ces quelques usages réconfortants.
Comme la consommation de vin était quotidienne, dans certaines régions, celui qui vendait du vin vendait aussi tout ce qui était encombrant, lourd, d’usage quotidien, peu valorisé, comme le charbon, les pommes de terre, etc. C’est la tradition des marchands de vin dans les régions de consommation éloignées des vignes, des commerces qui n’étaient pas forcément prestigieux à l’origine mais répondaient à des besoins de base et très populaires. Parfois en porte-à-porte. Ce sont les ancêtres des grossistes CHR, des entrepositaires, dont un certain nombre a aujourd’hui carrément basculé en cavistes, en s’ouvrant à une clientèle de particuliers.

Par contre, dans les régions de productions viticoles, le marchand de vins était le négociant qui achetait du vin aux producteurs et le vendait ailleurs. Pour faire la différence par rapport à la concurrence, il se devait de bien sélectionner ses cuvées. C’est donc un véritable acteur de la filière, ce qu’exprime toujours aujourd’hui le terme Négociant.

Chéri Pense au vin Merci 36912393_1965551820161320_5253022810082639872_n

C’est dans cette filiation là que je me retrouve, avec mon père qui a repris une activité de distributeur en 1964. »

Un même mot pour résumer deux positionnements finalement très différents au départ même si depuis ils se sont rejoints.

Certains cavistes aujourd’hui revendiquent donc cette filiation avec le terme de Marchands de vin. Tandis que d’autres le rejettent avec force.

Une autre histoire des cavistes découle de la première : lorsque de marchands de gros les marchands sont devenus des marchands de vins fins … et souvent épiciers. Se spécialisant dans l’alimentaire, ils achetaient en gros et conditionnaient et vendaient au détail : cafés, sucre, farine, vin, … Le terme vins fins, que l’on voit encore souvent sur les vieilles façades à la peinture défraichies, rappelle cette histoire. L’histoire de la famille d’Yves Legrand, à Paris, en est un bel exemple. Comment sur quatre générations le métier d’épicier de quartier est devenu celui de cavistes de prestige…

les bouteilles de champagne stockées dans une crayere à Reims en Champagne

C’est la tradition du commerce de proximité qui s’est progressivement spécialisé. Depuis les années soixante, il a  dû aussi faire face à l’évolution des modes de consommation, aux nouvelles concurrences commerçantes et faire valoir sa différence : en allant au-delà de la simple vente de vins pour proposer des cuvées rares, des vins originaux, typiques, recherchés.

Se différenciant par ce nouveau positionnement vers des usages plus exceptionnels, il a fallu en susciter l’attrait par une mise en avant, une mise en scène transformant l’ancien vendeur d’une boisson quotidienne et indispensable (rappelons que les cantines scolaires servaient du vin aux enfants jusque dans les années 60) en prescripteur d’un produit de prestige, voire de luxe.

Les cavistes et la viticulture

On estime que les ventes des cavistes représentent 10% du CA des vins vendus en France (voire 15% selon les régions viticoles) ce qui les place évidemment comme des marchés de niche.
« On devrait faire beaucoup plus, regrette Jean Guizard, président de la Fédération des Cavistes Indépendants, surtout qu’on se développe. Mais la grande distribution reste très présente en France. Ceci dit, ça peut changer car les gens s’en détournent.

Jean Guizard déguste président FCI

« La distribution des autres alcools augmente beaucoup, confirme Jean Guizard, Il y a 10 ans, nous étions rares, même parmi les cavistes, à commercialiser beaucoup de rhums et whisky et de nombreux confrères cavistes ne vendaient pas d’alcools du tout. Et je ne vendais aucune bière il y a encore 3-4 ans dans mes magasins alors qu’on en propose au moins une douzaine aujourd’hui.

Il ne reste quasiment pas de cavistes qui ne vendent que du vin. Les vins et Champagne représentent en gros près des deux tiers de leur chiffre d‘affaires en moyenne. La plupart commercialisent également des marques de spiritueux et de plus en plus des bières, qui constituent la principale innovation culturelle  de ces dernières années. »

« Ce lien avec la bière n’est pas neuf, ajoute P Jourdain. Dans mon village, Cusset, dans les années 60 il y avait une soixantaine de brasseries artisanales locales. Chacune produisait sa propre bière. Des bières de soif. Depuis, la concentration importante du secteur a fait disparaitre cette tradition mais le renouveau des brasseries indépendantes actuelles est finalement la résurgence de ce passé pas si lointain ».

Bières artisanales chez le caviste

Le modèle du caviste traditionnel a donc profondément changé au cours des dernières décennies. Mails ils ont su s’adapter à l’ère du temps. C’est le cas, ne l’oublions pas, de la société Nicolas, une vraie grand mère , tonique, qui bien que plus que centenaire a su conserver son objet social et développer son parc de magasin (500 points de vente aujourd’hui en France). 

Rappelons que par rapport à d’autres secteurs commerciaux, le circuit des cavistes en France est peu concentré avec une quarantaine de groupements de magasins réunis par une même enseigne. Ils sont cependant rares à être présents au niveau national (à part les franchises Intercaves, Cavavin, V&B progressivement, …). La plupart des autres réseaux de cavistes rayonnent autour d’une base régionale, la plupart du temps hors région de vignobles.

« Dans les régions de production, les chaines qui arrivaient avec des gammes nationales inadaptées aux cultures locales avaient jusqu’ici du mal à s’implanter, observe Jean Guizard, qui gère plusieurs boutiques cavistes à Montpellier, capitale d’une région à forte culture viticole. Mais cela change aussi. Je vois l’ouverture d’une deuxième boutique V&B à Montpellier, sans doute parce qu’ils réussissent à s’adapter davantage  aux demandes locales. En plus du phénomène Bière qui se développe aussi dans nos régions à forte tradition viticole. Et puis lorsque les stratégies d’achat des chaines sont aussi qualitatives que celle que j’observe par exemple pour le Repaire de Bacchus, il n’y a aucune raison qu’ils ne puissent pas se développer. Je préfère un caviste chainé qui s’installe à côté de chez moi qu’une grande surface. »

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L’ambiance est très différente de l’autre côté des Alpes.

« Les magasins de vin en Italie sont surtout des entreprises familiales, bien qu’il s’agisse d’entreprises individuelles, de sociétés de personnes ou de sociétés. Le modèle type, c’est une famille avec parfois un employé, selon la taille, donc de 2 à 5/6 personnes pour 80/100 mètres carré, précise A. Terraneo.

Et si la pression concurrentielle est très forte à Paris, du fait du coût de l’immobilier notamment, ce qui explique la difficulté pour les indépendants de se maintenir, à l’échelon national le circuit des cavistes est composé à 77% de cavistes indépendants (moins de 5 points de vente).

En Italie, il n’y a pas d’associations professionnelles,  donc pas de franchises, ni de chaînes, qu’elles soient petites ou grandes. Des cavistes peuvent parfois appartenir à un même propriétaire mais jamais au-delà de trois / quatre / cinq cavistes.

Pourquoi pas de chaines ? C’est difficile à dire. C’est sans doute lié au contexte aspect historico-économique du pays. En Italie, il y a vingt régions et toutes produisent du vin. Tout le monde a un grand-père, un beau-frère, un oncle d’un ami, le frère du beau-père de sa fille qui fait du vin.

Un pressoir à main avec une pressée de raisins jaunes

Et les distances des lieux de production sont courtes. Il faut se rendre compte que n’importe quel lieu en Italie ne sera jamais à plus de 20 km d’un lieu de production alors qu’en France, un habitant de Calais ou de Brest doit parcourir des centaines de kilomètres pour trouver un lieu de production.

Du coup, il y a cinquante ans en arrière, chaque italien achetait encore son vin, chez des amis vignerons ou des proches vignerons ou chez les caves coopératives, en bombonnes (un récipient en verre de 54 litres ou plus petit). Il le mettait en bouteille à domicile et couvrait ainsi sa consommation annuelle.

Les magasins de vin sont nés des vignes, c’étaient juste des endroits, des caveaux, où le vin en vrac était vendu directement tiré du tonneau. Ce n’est que dans les années 70 du siècle dernier, avec la baisse de la consommation, que le vigneron est devenu un produit de vente enoteca embouteillé à l’origine. Je pense que même si les statistiques placent la France et l’Italie dans une consommation annuelle par habitant plus ou moins équivalente, le consommateur français dépense plus pour le vin que le consommateur italien.

Une relation au vin et au terroir qui n’est pas si différente que cela à de nombreuses régions viticoles françaises.

« Je voudrais préciser quelque chose, reprend le président de Vinarius , ce sont les cavistes les plus avancés qui ont commencé à créer dans leur caveau, donc situé dans leur zone vinicole, dans leur magasin de vin,  une ambiance plus culturelle, conférant au vin un rôle en tant qu’expression de la culture de son propre territoire.

salle de dégustation très contemporaine bois Bottigliera Chicco d'Uva Cantine fatte ad arte

Et en mettant en valeur les différents terroirs, l’Enoteca est devenue l’ambassadeur de ce toutes ces géographies viticoles, associant le vin non plus seulement à sa clé d’entrée classique, le cépage, mais à toutes les composantes culturelles de son lieu de production, à toute son histoire, ses traditions, notamment viticoles, sa proposition gastronomique, etc. »

 Une vraie modernité tirée par les cavistes

« Ce qu’il y a d’intéressant dans cette croissance des cavistes observée ces dernières années, reprend Jean Guizard, c’est que les gens se ré-intéressent au vin.

Il y a vingt ans dans les apéritifs, les gens ne consommaient pas de vin. Ou alors des bulles, du Champagne. Alors qu’aujourd’hui il y a toujours du vin. Et pour ce genre de moments, il vaut mieux aller choisir un vin chez un caviste pour ne pas se tromper.

En termes de cadeaux, aussi, le caviste apporte la sécurité du choix et la valeur, esthétique et psychologique, de sa signature, du macaron sur l’emballage.

Et si les gens désertent la grande distribution actuellement, c’est qu’il y a une perte de confiance dans les produits qui y sont vendus. C’est ça qui est intéressant pour les cavistes. La carte à jouer pour les commerces de proximité aujourd’hui, c’est vraiment l’expérience clients. C’est par exemple faire déguster, ou proposer des accords mets-vins. Ça peut être aussi d’organiser une animation le soir dans une entreprise. C’est la raison d’être du petit commerce aujourd’hui. Sinon il va mourir. »

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Et pour y parvenir, il va falloir que le niveau du caviste présent dans la boutique soit à la hauteur de la qualité de l’accueil et de l’expertise qui sont attendus, ce qui rend le sujet de la formation de nos collaborateurs crucial.

Un tournant dont ont bien conscience les cavistes italiens, comme le soigne Francesco Bonfio, présient de l’Association Enotecari Professionnal Italian (AEPI) : « l’ Enotecario est pour nous une profession qui n’est pas encore vraiment reconnue en tant que telle mais qui réunit les compétences suivantes :

Un pressoir à main avec une pressée de raisins jaunes
  • c’est un commerçant (il commercialise du vin et d’autres boissons alcoolisées au détail) ;
  • un expert :  il connaît son sujet, approfondit régulièrement ses connaissances et les réactualise en permanenc ;
  • un dénicheur : il recherche de petites productions à valoriser et met ce service à la disposition du client ;
  • un conseiller : il transmet le fruit de ses compétences à sa clientèle.

Ce sont ces compétences qui le distinguent des marchands de vins standards (“enotecario génériques”) et qui lui confère la qualification d’Enotecario Professionnel. »

Réhydrater une société de plus en plus « hors sol » ?

Le rôle des cavistes a en effet bien changé, confirme P Jourdain. Nous ne vendons plus des boissons destinées à désaltérer les travailleurs de force mais des boissons accompagnant des moments de loisirs et de détente. C’est là je pense la plus grosse révolution. Rappelons-nous qu’avant le vin était pour de nombreuses populations un véritable complément alimentaire qui permettait de tenir face à la rudesse des travaux physiques.
Et la bascule constatée pour le vin est ce qui est aussi en train de se produire avec les bières, qui s’éloignent de leur fonction première de « boissons de soif » pour gagner en complexités gustatives et en qualité, et répondre à l’évolution des activités humaines.

vins italiens grands flacons enoteca la barrique

Aujourd’hui on boit moins mais mieux et c’est peut-être pour ça que les gens vont chez le caviste. Comme pour la viande. On en achète moins mais de la meilleure, ce qui justifie qu’on aille chez le boucher pour acheter de la bonne. Et bien, pour boire bien, on va chez le caviste. »

Le rôle social même de l’alcool change alors que de plus en plus de gens travaillent dans le secteur tertiaire, et que les conditions de travail nécessitent moins d’efforts physiques que par le passé.

Du coup, les besoins alimentaires aussi ont changé, qualitativement et quantitativement. Aujourd’hui, l’alimentation ne représente plus que 20% du budget des ménages alors que c’était le principal poste de dépenses dans les années 1960. Une diminution imputable essentiellement à la hausse parallèle du pouvoir d’achat. La place, et le rôle social, des loisirs aussi évoluent. Au point de diaboliser aujourd’hui ce qui faisait partie de la vie.

« On a un vrai problème en France, s’insurge Jean Guizard. Plus ça va, moins il faut boire. On passe aujourd’hui pour des alcooliques alors que dans nos cultures traditionnelles, le fait de boire ne posait aucun souci et nous n’avions pas plus de problème de santé. Aujourd’hui on se fait attaquer pour tout. En France, pays de la gastronomie, du vin, des terroirs par excellence, il y une forme de bashing général qui est délirant. En Espagne et Italie, on n’a pas tout ça. Les cavistes ont donc chez nous un vrai rôle à jouer de prévention et d’informations. Car lorsque des gamins de 16 ans vont dans une épicerie de nuit ou en grande distribution, personne ne va les contrôler en fait. Alors que chez nous, justement, on va jouer notre rôle de référent, de conseil et de recommandations. »

Sauf  que de l’autre côté des Alpes la situation ne semble finalement pas si différente.

Francesco Bonfio AEPI AG FCI Avril 2019 Pessac Leognan

« La consommation recule en Italie aussi, du fait des mêmes causes historiques, sociales, alimentaires et des préoccupations grandissantes pour la santé, explique Francesco Bonfio. Mais l’année 2008 a été une étape majeure avec le resserrement des règles concernant la conduite en état d’alcoolisation, ce qui a sérieusement fragilisé notre secteur d’activité. Et la crise économique internationale a accentué ce décrochage. 

En Italie, on distingue deux grandes catégories de consommateurs selon leur âge.
Les plus jeunes (disons entre 18 et 35 ans) boivent de l’alcool pour s’évader, voire pour s’étourdir (binge dinking ?). Par manque de moyens, ils consomment n’importe quel alcool, du moment qu’il est bon marché et qu’il saoule rapidement. Trois caractéristiques que le vin de qualité ne possède pas. Donc, cette catégorie de consommateurs est très peu intéressée par le vin (ou la bière ou les spiritueux) de haute qualité du fait même de son coût.
La catégorie de consommateurs de 35 à 55 ans boit moins, maintenant, d’année en année. Mais elle maintient une demande de qualité et est prête à la payer. Elle consomme moins notamment du fait des mesures de réduction de l’alcoolémie autorisée au volant (0,5 gramme par litre) et des modifications des régimes alimentaires.

Après 55 ans la consommation est réduite en raison de l’attention accrue à la santé.

L’enotecario, conscient des dommages causés par l’alcoolisme, le combat avec l’information, la diffusion et la culture. Le code de déontologie de l’AEPI (association enotecari professionnal italian) attend de ses membres qu’ils soient extrêmement vigilants et qu’ils s’engagent fortement sur cette question.

Le Syndicat des Cavistes Professionnels s’engage également sur le sujet et la diffusion dans les boutique des Antisèches de mon Caviste (une 3ème édition est prévue) est vivement saluée par les représentants de la filière et de l’État.

C’est également l’une des meilleures portes d’entrées sur le site des cavistes www.cavistesprofessionnels.fr

Les Antiseches de mon caviste

Mais cette responsabilisation accrue accompagne des changements de fond pour la profession. Et les enjeux pour les cavistes français sont proches de ceux de leurs collègues italiens.

« Bien prendre en compte la montée en puissance de la dimension intellectuelle de l’activité des Enotecari et des Cavistes »

C’est Francesco Bonfio, lui même Enotecario Professionnel dans la belle ville toscane de Sienne, qui rassemble les deux dynamiques par un constat que ne peuvent que partager ses confrères français.

« L’époque impose une vision différente du rôle de l’enotecario et j’invite tous les enotecari et enoitecari à exploiter cet aspect. Car en plus de son activité commerciale « normale », c’est à dire la sélection, l’achat, la proposition et la vente de bouteilles de vins au consommateur, l’enotecario est également devenu un consultant en freelance et son activité est de plus en plus intellectuelle.

C’est le cas lorsqu’on participe à des comités de dégustation pour les concours de vin, lorsqu’on nous demande des expertises, lorsque nous sommes consultés par les medias, lorsque nous faisons des conférences en tant que rapporteur, ou bien tout simplement lorsque nous communiquons pour notre propre compte ou lorsque nous organisons des cours de dégustation privés ou publiques, etc.

La Barrique enoteca à Cantu

Et le développement de toutes ces activités complémentaires, de plus en plus importantes y compris en termes de temps passés à les remplir,  c’est positif aussi pour le développement de la communauté, car en parlant du vin et de sa culture (et en apprenant aux consommateurs les bons usages qui permettent au vin de rester, dans le cadre d’une consommation modérée avec le repas, un produit vecteur de plus d’atouts que de défauts), c’est notre histoire et notre tradition que nous mettons ainsi en valeur.

Et le plus que nous apportons par rapport aux journalistes, aux blogueurs ou autres influenceurs, c’est que les avis que les enotecari professionnel émettent tous les jours, du matin au soir, sont, eux, personnalisés pour répondre aux besoins et aux goûts de chaque client.

Du fait de toutes ces compétences, le caviste-enotecario professionnel est clairement l’interlocuteur le plus complet et fiable de toute la chaîne du vin.« 

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